mardi 21 août 2018

Infernal 200

203 km, 10000 mètres de dénivelé positif (D+) et négatif (D-), 61h maximum. En guise d'introduction, je pense que ce n'est pas mal. Après plusieurs courses autour des 100 km, il est temps de passer dans la cour des grands et m'attaquer à du “long”. Après une étude des différentes possibilités, j'arrête mon choix sur l'Infernal 200 dans les Vosges, pour 2 raisons principalement: je ne connais pas le coin et c'est assez proche de Bruxelles. Une fois inscrit, place à l'entrainement. Entre les déplacements avec MSF et le manque de relief sur Bruxelles, c'est compliqué de se préparer correctement.
Le départ de la course a lieu le jeudi 7 septembre à minuit. Le mardi d'avant, je me dis que ce serait bien d'avoir une 2e paire de chaussures pour changer à mi-course. Je passe rapidement à Décathlon pour racheter la même paire, du coup je ne les essaye pas. La veille de la course, je me dis que je pourrais peut-être les essayer quand même. Et là, c'est le drame, j'ai acheté 2 pieds droits.


Pas de souci, j'ai encore le jour du départ pour acheter une 3e paire. Avec un départ à minuit, j'ai un peu de temps devant moi le jeudi, j'en profite pour aller faire du shopping: le magasin n'ayant pas ma pointure, je prends quand même celles en solde une demi-pointure trop grande (46,5 quand même, allo Donald ?), pas grave, je mettrais 2 paires de chaussettes (je ferai le 120 premiers km de la course avec cette paire sans les avoir portées avant). J'en profite d'ailleurs pour racheter 2 paires de chaussettes, j'étais venu avec seulement 6 paires et c'est quand même un peu juste.
Je passe aussi à la pharmacie pour trouver un pansement adéquat pour ma cheville. Une semaine avant, au Sud Soudan, je me brulé en jouant au foot, j'espère que ça ne me gênera pas trop.


Bon cette fois, je crois que j'ai tout. Je rentre à la maison pour préparer le ravito perso. Entre ça et les ravitos tous les 15 km, je pense que ça devrait aller.


Dans l'après-midi, je me rends à Saint Nabord (merci Stéphanie pour la dépose à l'arrêt de bus) avec une 2e partie de trajet dans un bus rempli comme la chambre à air de Jean François Bernard le 20 juillet 1987.


Je pose la tente près du départ, prépare le sac, passe rapidement manger des pâtes et pars me coucher à 19h. Ma brillante stratégie d'arriver fatigué doit me permettre de m'endormir rapidement. Comme dirait l'autre « c'est pas la stratégie qui m'inquiète, c'est le stratège ». En l'occurence, le stratège ne parvient pas à trouver le sommeil même si ces quelques heures allongées me permettent de récupérer. Vers 23h, j'entends le speaker énumérer la liste du matériel obligatoire pour 10e fois mais cette fois-ci, je l'écoute et je me rends compte que j'ai réussi à oublier la bande adhésive. Sachant qu'il y a un contrôle des sacs avant le départ, je dois absolument en trouver une avant le départ sinon je serai disqualifié, petit coup de stress. Je pars voir un bénévole qui part se renseigner. Je repasse 15 minutes plus tard et il me donne une bande de strap, ouf c'est réglé. Je peux me rendre sur la ligne de départ. Après un court briefing et un beau feu d'artifice, le départ est donné à minuit, c'est parti pour une longue promenade.


Nous sommes 133 départ dont 5 femmes, seuls 84 coureurs verront la ligne d'arrivée. La stratégie est simple : se caler sur les barrières horaires et toujours viser le prochain ravito, surtout ne pas se projeter plus loin. Découper 200 bornes en plusieurs sections de 15 kilomètres, ça semble tout de suite beaucoup plus abordable, c'est rien 15 bornes.
Dès le départ, je me cale en fond de peloton. Les 4 premiers kilomètres sur le plat sont avalés rapidement, puis on attaque la 1e montée. Après un démarrage en douceur, ça monte droit dans la pente, visiblement le concept du virage n'est pas arrivé dans le coin. Certains passages en descente sont dans la même veine. Du coup, il ne faut vraiment pas trainer pour passer la 1e barrière horaire  (6h30 pour 35 km). C'est marche rapide dans les montées et relance dans les descentes. Comme nous sommes peu nombreux, je me retrouve tout seul au bout de quelques heures, j'adore cette ambiance, à courir dans la forêt au milieu de la nuit, avec le faisceau de la frontale pour trouver le balisage. Je passe la 1e barrière horaire avec 45 minutes d'avance, tout est sous contrôle. Honnêtement, faire ce tronçon de nuit en moins de 6h30 est déjà une très belle performance.
Le jour se lève maintenant et on peut enfin profiter de la vue et de la magnifique forêt vosgienne.



J'arrive au ravito du frère Joseph en 12h (58 km), tout va bien, j'en profite pour me changer, me ravitailler mais je ne m'attarde pas. Le beau temps se maintient, pourvu que ça dure. C'est reparti avec 2 gros morceaux en perspective : le Markstein et le Grand Ballon.


J'arrive en haut du Markstein en 16h30 environ, tout va bien. La barrière horaire au Grand Ballon fixé à minuit est celle qui me fait le plus peur, pour l'instant j'ai de la marge. Après une longue descente, j'attaque la montée au Grand Ballon, point culminant du trail à 1424 mètres. C'est là que je rencontre Daniel, un coureur angevin avec une belle expérience en ultra. On passera les 35 heures suivantes ensemble à se soutenir et s'encourager mutuellement (enfin surtout lui ;-). On termine la montée au Grand Ballon avec la nuit tombante. L'ambiance au sommet est top, avec un vent à décorner un Dahu. 


De là, on descend vers le ravito sans allumer les frontales, sans un bruit, moment d'harmonie absolument magique. J'arrive au ravito complètement frigorifié. Heureusement, l'énergie des bénévoles me permet de me réchauffer rapidement.


Après un court arrêt, on attaque la descente vers Saint Amarin. Tout va bien, on a de la marge sur les barrières horaires et on fait la descente en marchant. On arrive au ravito un peu avant minuit et à partir de là, on commence à « rentrer ». En effet, Saint Amarin se trouve à mi-parcours. Ca fait déjà 24h qu'on est parti et le sommeil commence à pointer le bout de son nez. Malheureusement, entre nous et la prochaine base de vie (où l'on peut dormir) du Rouge Gazon se trouve une section de 15 km avec plus de 1000m de D+. On commence à grimper sur un bon rythme, un autre traileur nous a rejoint. Au bout d'une heure environ, mes deux compagnons commencent à souffrir sévèrement du manque de sommeil et commencent à tituber un peu trop. Du coup, on fait une pause au bord du chemin pour 15 minutes. Je n'arrive pas à m'endormir (c'est qu'il fait quand même un peu froid et le matelas n'est pas des plus confort ;-)


On continue à alterner les périodes de marche et les micro-pauses de quelques minutes au bord du chemin. On passe régulièrement à côté de traileurs qui font aussi un somme au bord du chemin, ça fait un peu bizarre au début puis on s'habitue. A cause de la fatigue, on perd pas mal de temps sur cette section mais on finit par arriver au ravito sur les coups de 5h du mat (déjà 29 heures de course). On va enfin pouvoir dormir un peu. Avant d'aller me coucher, je passe aux soins : je commence par un bain de pieds qui me fait un bien fou, puis j'enchaine sur un massage des jambes (avec une masseuse pour chaque jambe s'il vous plait). Pour l'anecdote, j'entends une des masseuses dire qu'elle ne trouve pas de contractures. J'ai envie de lui dire que vu notre vitesse, ce n'est pas bien surprenant. Après ce moment très agréable, je pars dormir dans un bon lit. Je m'endors immédiatement et c'est en pleine forme que je me réveille ... 30 minutes plus tard. Je passe manger un truc avant de repartir avec Daniel. La pluie annoncée pour le samedi est arrivée et nous tiendra compagnie une bonne partie de la journée et de la nuit suivante. Le jour se lève rapidement et on continue notre lente mais constante progression. On passe au sommet du Drumont dans une ambiance de tempête : pluie, vent, brouillard, j'adore.


En fin de matinée, la fatigue revient me rendre visite. Plus ça va, plus c'est dur de lutter contre le sommeil. La pluie rend impossible les siestes au bord du chemin, il n'y a qu'une chose à faire : il faut continuer à avancer sans se poser de questions. Après plusieurs heures à lutter contre le sommeil, il se passe quelque chose de complètement inattendu : je n'ai plus sommeil et je me sens parfaitement en forme, sans pour autant avoir dormi. J'avais déjà expérimenté ça mais pas à ce niveau là. Après deux nuits quasi blanches, le corps arrive encore à trouver de l'énergie, c'est impressionnant. Sur les coups de 16h, on repasse à la base de vie de l'ermitage du Frère Joseph. Cette fois, on prend le temps de faire une vraie pause et on dort une heure complète. On repart sous la pluie plus motivé que jamais, on a 3 heures d'avance sur les délais, tout va bien.
Ca recommence avec la surprise du chef : la montée d'une piste noire droit dans la pente.


Après ça, on continue notre rythme, on a recommencé à courir en descente et les montées se font sur un bon rythme. On a de nouveau droit à une belle montée de bourrins.


Daniel n'est pas au mieux dans la descente suivante mais il se bat. Au ravito, il ne s'attarde pas et prend un peu d'avance. Je prends le temps de bien me ravitailler et je repars au soleil couchant avec une motivation et une énergie au top. Cette sieste de 1h m'a vraiment fait du bien et je ne sens pas les déjà 44 heures de course. C'est parti pour une 3e nuit sur les chemins. Je retrouve Daniel après 1h et on continue ensemble. Avec la nuit, le sommeil repointe le bout de son nez. Je le chasse tant bien que mal à coup de coca et de gel. Dans la descente vers Reherrey (km 166), je suis complètement cuit. Malgré notre vitesse réduite, j'ai l'impression que je vais m'effondrer à chaque pas. On arrive au ravito vers minuit (1h45 d'avance sur les délais). A peine rentré dans la maison, je m'assois par terre pour essayer de reprendre mon souffle (pour rappel, on a marché les derniers kilomètres en descente). Au bout d'une ou deux minutes, je rampe jusque sous un escalier et je commence une sieste allongé sur le carrelage. On me signale qu'un lit est disponible à l'étage. J'arrive à y trainer ma carcasse tant bien que mal et là, il se passe quelque chose d'inattendu : sans raison, je me mets à pleurer. Visiblement, mon corps esssaye de me dire quelque chose. Après quelques respirations profondes, j'arrive à me calmer et je m'endors. Je me réveille spontanément 15 minutes plus tard et encore une fois, mon corps a su tirer le maximum de cette courte pause et je me sens « frais ». J'étais arrivé au bout du rouleau et là, je suis chaud bouillant pour repartir, le contraste est saisissant. Je redescends et retrouve Daniel qui est tout surpris de me voir aussi motivé. Je me ravitaille rapidement et on repart gonflés à bloc affronter la nuit et la pluie. 


On a 4 heures pour passer la dernière barrière horaire avant l'arrivée qui se trouve à 12 km, avec 2 belles montées pour un D+ cumulé de 700m. Malgré quelques soucis de frontale pour Daniel, on avance bien sur la 1e montée. La descente nous posera plus de problèmes. C'est très raide et avec la fatigue, la pluie et la nuit, on n'avance vraiment pas vite. Histoire de s'ajouter un petit défi, je prends un mauvais chemin qui nous coûte une vingtaine de minutes. Cela va sans dire qu'à ce moment de la course, ça fait très mal au moral. On arrive finalement au pied de la dernière montée à 3h30. Il nous reste 1h pour passer la barrière horaire. Je sens tout de suite que ça ne va pas le faire. Mon corps est train de lâcher. Je laisse partir Daniel qui malgré la fatigue et sa cheville douloureuse, trouve des ressources mentales pour y aller, chapeau ! De mon côté, je m'accroche mais je n'avance plus. Je commence à avoir des hallucinations visuelles. Il est maintenant 4h, ça fait 52 heures que je suis parti et je suis arrivé au bout de ce que je pouvais donner. Je comprends que je ne pourrais pas rallier l'arrivée. Je me fixe un dernier défi : arriver au ravito avant la barrière horaire. J'arrive finalement au col mais le ravito n'est toujours pas en vue. Je finis par croiser quelqu'un qui me dit que le ravito est à 400 mètres : je vais mettre plus de 10 minutes pour les parcourir !!! Je suis complètement hagard quand j'y arrive, peu après 5h, avec presque 30 minutes d'avance sur la barrière horaire. Daniel est là et s'apprête à repartir et voit bien que je ne vais pas pouvoir repartir avec lui. Il me suggère de faire une sieste et d'aviser ensuite. Alors que j'avais abandonné tout espoir de terminer, il rallume une lueur d'espoir, qui s'éteint presque aussitôt. Je n'y crois pas mais je m'allonge quand même sur une table de pique-nique pour dormir 15 minutes. Cette fois, plus de miracle, je tiens à peine debout. Repartir serait dangeureux dans mon état et voué à l'échec de toutes façons.


Comme je l'avais décidé dans la dernière montée, c'est l'échec : je dois me résoudre à abandonner après 53 heures de course et plus de 180 km parcourus, à 25 km de l'arrivée. J'ai donné le meilleur de moi-même mais ça n'aura pas suffi cette fois ci.
La navette me ramène à Saint Nabord et je pars m'effondrer dans la tente. Assez bizzarement, je ne dors que quelques heures. De retour chez les parents de Stéphanie, je fais quelques étirements.


Le lendemain, je me réveille comme une fleur, pas de courbatures, juste du mal à marcher à cause des nombreuses ampoules que j'ai. Sur cette course, j'ai fait pas mal d'erreurs (préparation du matos, gestion des ampoules, pas de trace GPS) mais comme on dit, c'est le métier qui rentre. Pour la prochaine fois, je serai bien mieux préparé à affronter un tel défi et notamment la gestion du sommeil. Malgré l'échec de ne pas avoir rallié la ligne d'arrivée, j'ai réussi à parcourir plus de 180 km quand ma plus longue course avant l'Infernal 200, était de 100 km. J'ai découvert que mon corps avait des ressources incroyables. Rien que de me dire que j'ai crapahuté dans les montagnes pendant plus de 53 heures en ayant dormi tout au plus 2 heures, ça me laisse encore aujourd'hui sans voix. Maintenant, il va falloir que j'apprenne à gérer cette frustration, arrêter de ressasser mon abandon, arrêter de refaire la course en me disant que j'aurais pu faire plus, arrêter de rêver que j'ai continué et tourner la page.
Je vais terminer en remerciant toutes les personnes qui m'ont encouragé pendant la course, ça m'a donné une source de motivation supplémentaire. Un énorme merci également à Stéphanie et sa famille pour leur formidable accueil.
To be continued ...