samedi 7 février 2015

UTB 2014

C'est l'histoire d'un mec, normal le mec, qui part faire une course avec les potes. Au programme : 105 km, 6500 mètres de dénivelé, 26 heures max. La sortie classique du dimanche matin, sauf que là, on part le samedi matin (cela dit ça peut se terminer le dimanche matin mais comme dirait Popeye, ça ça dépend des mecs). Me voilà donc embarqué avec Yann (ah non, il s'est défilé :-), Yannick, Guillaume et Xavier (petit décrassage après la milkil) pour l'UTB, Ultra Tour du Beaufortain. Comme on n'est pas complètement des touristes, on est même venu faire la reconaissance du parcours sur 3 jours quelques semaines avant. 
Samedi matin, réveil à 1h30, pour un départ à 4h, ça pique un peu. Gatosport avalé en vitesse, et direction la ligne de départ. Pour l'instant, tout va bien, on est dans l'euphorie du départ, ya du monde et les jambes ont juste envie de se lancer à l'assaut de la montagne.


Petit aperçu de ce qui nous attend.


Ambiance magique au départ avec toutes les frontales allumées. Guillaume reste avec nous environ 10 mètres, puis s'envole, on ne le reverra pas de la course. On attaque direct avec du lourd, montée au col de la Roche Pourrie, 1400 mètres de déniv pour l'échauffement. Arrivée au 1e ravito aux Arolles après 17 km et 3h30, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on n'est pas parti sur un gros rythme. On a de la chance, le ciel est voilé et du coup, on se souffre pas trop de la chaleur. 



Au ravito suivant, Yannick suivant n'est pas au mieux.


On attend Xavier qui ferme la marche. On commence déjà à être juste avec les barrières horaires, on quitte le ravito avec seulement 15 minutes de marge. C'est reparti en direction de la Pierra Menta, les paysages sont magnifiques. 


Arrivée au pied de la Pierra Menta, le temps se gâte un peu et le ciel nous gratifie de quelques gouttes de pluie.


On arrive au refuge du Presset au 39e km vers 15h et là, ça devient vraiment chaud pour la barrière horaire de mi-course. Du coup, je décide d'accélérer franchement et laisse derrière Yannick et Xavier. 
Vue du col du Grand Fond côté refuge du Presset et Pierra Menta. 


J'arrive à la brèche de Parozan et sa descente vertigineuse. 


Pas le temps de tergiverser et d'y aller en douceur, tout droit dans la pente et laisser faire la gravité. Tout en glissade, plus ou moins controlées, mais bon j'arrive en bas intact. Pure moment de plaisir où je m'oublie complètement, ultra concentré sur l'instant présent. Maintenant je n'ai plus qu'à descendre jusqu'au plan de la Lai où se trouve le ravito de mi-course. Je me régale sur un petit sentier pas trop technique, où ya moyen de courir. 
J'arrive au ravito avec 40 minutes d'avance sur les délais, je m'accorde une bonne pause repas et j'en profite pour changer de chaussettes et de t-shirt. Je quitte le ravito avec seulement 15 minutes d'avance sur les délais, donc la stratégie de course est simple, je ne peux pas gérer, je dois aller aussi vite que possible et essayer de passer la prochaine barrière horaire. J'ai 3h30 pour être au hameau de la Gittaz. Je commence à faire mes calculs, 1h pour le tunnel du Roc du Vent, 1h30 pour la Croix du Bonhomme, 30 minutes pour la descente, ya moyen que ça passe. C'est donc parti pour la montée au Roc du Vent, je sens tout de suite le contrecoup de mon accélération, j'ai l'impression de reculer, je me fais doubler par quelques concurrents (petit coup au moral) mais je continue à avancer.
Tic tac tic tac ...
J'arrive finalement au tunnel du Roc du Vent, la vue est superbe.




Maintenant directement le refuge de la Croix du Bonhomme avec un chemin aérien sur les crêtes absolument magique même si je peine toujours autant à trimballer ma carcasse dans les montées. J'arrive au refuge, puis au col dans les délais que je me suis fixé, tout va bien, plus qu'à se laisser descendre jusqu'au hameau. Là sans raison, je me mets à courir à fond, comme si la ligne d'arrivée était juste quelques mètres plus loin. Je ne calcule pas, je cours vite juste parce que ça me rend heureux, peu importe si je le paye plus tard, le moment présent est le seul qui vaille et celui là est juste parfait. J'arrive au ravito euphorique vers 21h, déjà 17h de course. Je prends le temps de bien me ravitailler avant d'attaquer la montée au col de la Gittaz. Je quitte le ravito avec 45 minutes d'avance sur les délais, tout va bien, j'ai repris du temps.
La nuit est en train de tomber, l'ambiance change drastiquement, c'est complètement silencieux, très peu de concurrents, j'adore. Dès le début de la montée, je sens que ça va être dur, l'euphorie qui m'habitait est restée au ravito, je suis à l'arrêt mais il faut continuer à avancer. Objectif: la prochaine barrière horaire au col du Joly, j'ai 3h pour y arriver. J'arrive à suivre le pas d'un concurrent pendant la montée et une fois le col passé, je retrouve mes jambes. La lampe frontale en mode plein phare, je remets un coup de gaz, j'ai l'impression que la course vient de commencer, je me sens frais. Evidemment, le coup de bambou ne tarde pas à arriver, au détour d'un virage, j'aperçois les lueurs des lampes frontales, haut dans la montagne, je ne m'attendais pas à ce que ça remonte autant.



Comme on peut l'entendre sur la vidéo, ça commence à être vraiment difficile. J'ai l'impression que le ravito s'éloigne au fur et à mesure que j'avance. Je finis par y arriver et à voir la tête de l'infirmière qui me demande si ça va, je ne dois pas avoir l'air très frais. Je sens qu'il ne reste plus grand chose dans le réservoir et me dis qu'une petite sieste de 15 minutes pourrait me faire du bien. Problème: il faut repartir dans moins de 15 minutes. Tant pis, ce sera pour plus tard. Juste avant de quitter le ravito, l'infirmière a l'air surprise que je reparte. Ce à quoi je lui réponds "tant que je ne suis pas hors-délai, je continue". Et c'est reparti, seul dans la nuit. Le chemin qui mène au col de la Croix de Pierre est un calvaire, beaucoup de boue et avec mes pneus slick (comprendre mes semelles usées) et la fatigue, je n'avance plus. 4 concurrents me doublent mais impossible de les suivre. Coup de bol, quelques minutes plus tard, je les retrouve à une intersection, plus de balisage donc ils ne savent pas où aller. Comme j'ai fait la reco, je leur indique le chemin. Là j'ai un éclair de lucidité (tout arrive), je me rends compte que ma seule chance d'arriver au prochain ravito dans les temps est de m'accrocher au groupe. Je me cale en 3e position (surtout pas en dernier), je pose le cerveau et c'est parti, droite, gauche, droite, gauche, ne penser à rien, si ce n'est avancer ... J'ai l'impression de courir un 100m, je suis à bout de souffle, la gorge asséchée, mais je m'accroche. Au bout d'un temps indéterminé d'environ trop longtemps, on arrive au col de la Croix de Pierre (où il y a, je vous l'donne Emile ... des bénévoles ... et aussi une croix de pierre).
Maintenant on est sur la crête, avec plein de petites bosses au moins aussi hautes que l'Everest, voire plus, c'est du moins l'effet qu'elles me font après 23h de course. Le groupe se disloque complètement, on se double, on se redouble, tout le monde est au bout du rouleau mais continue coûte que coûte à avancer. Ya pas réfléchir, en montée, on marche aussi vite que possible, en descente, faut relancer et courir (si on peut encore appeler ça courir).
Tic tac tic tac tic tac ...
Inexorablement le temps s'écoule et le ravito n'arrive pas. Les pensées négatives reviennent en boucle, "arrête toi", "tu n'y arriveras jamais", "t'es mauvais", "abandonne" et plus ça va, plus c'est dur de lutter contre elles. Ca fait maintenant plus de 11h que je me bats contre la montre et vers environ 3h45 du matin, je craque. Je sais que je n'arriverai pas à temps au ravito, j'éteins ma frontale et je m'étale au bord du chemin. Je suis à bout, complètement rincé. J'ai lutté toute l'après-midi et toute la nuit, je n'ai jamais cessé d'y croire et là, tout s'arrête, c'est fini, c'est mon premier abandon en course. J'en ai les larmes aux yeux. J'essaye de reprendre tant bien que mal mon souffle et après 15 minutes sans voir personne, je me remets doucement en route (et oui, il faut de toutes façons rejoindre le ravito). Je fais les derniers kilomètres en descente en marchant mais même à ce rythme je suis essouflé. Je finis par arriver aux Saisies (90 km) à 4h15 du matin après 24 heures et 15 minutes de course. Sans surprise, je suis hors délai pour 25 minutes.

J'avale tant bien que mal un peu de nourriture. Bizarrement je ne me sens pas fatigué (ça viendra rapidement), juste terriblement déçu. Une navette me dépose peu après au gite où je m'effondre.
Au final, seul Guillaume aura réussi à boucler cette course, un grand bravo à lui. Il ne m'a pas manqué grand chose pour au moins atteindre le dernier ravito et repartir (je ne sais pas si j'aurais réussi à atteindre l'arrivée), juste un petit quart d'heure que j'aurais pu trouver en:
- faisant la course en solo, plutôt que d'attendre Yannick et Xavier. Aucun regret de ce côté-là, c'était franchement sympa de partager ce moment avec eux.

- pesant 3 kilos de moins, ce qui m'aurait grandement aidé en montée.
- m'entrainant plus sérieusement (2 sorties sur les 5 semaines précédent la course, c'est quand même un peu léger).


L'UTB est clairement une course très difficile avec des chemins très techniques où finalement on ne court pas beaucoup ou alors pas très vite. Par contre, niveau paysage, c'est splendide et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'à la vitesse où je suis allé, j'ai eu le temps d'en profiter. 

PS 0: quelques jours après la course, j'ai le plaisir de recevoir un email de l'organisateur reconnaissant qu'il aurait dû repousser la barrière horaire du dernier ravito de 15 minutes car le parcours avait été rallongé, c'est ballot quand même ...


PS 1 : pour la vidéo faite par Yannick de la course, c'est par


PS 2: histoire de faire une course où on peut courir, je fais l'écotrail de Bruxelles avec Yannick quelques semaines après. 84 km quasiment plat que l'on termine en moins de 12h. C'est sûr, ce n'est pas le même dénivelé qu'à l'UTB. Vidéo de notre course par ici, avec une petite surprise à la fin.


PS 3: histoire de (j'aurais pu dire "bandes de chacals, vous mourrez comme des chacals mais ça faisait deux fois chacal") enfin bref, trève de onzegression (ça fait plus riche), je disais donc deux points ouvrez les guillemets : "souhaitant finir la saison sur une course où je cours vraiment (même en montée, si si j'vous jure), je m'inscris un mois après l'écotrail au marathon de Bruxelles que je boucle en 3h43, nouveau record sur la distance.

PS 4: programme pour 2015, la Mitic à Andorre le 26 juin 2015. 112 km, 36h max, ça va envoyer de la crampe.


PS 5: pour clotûrer, je vais citer mon peintre de la renaissance préféré "voilà, c'est fini".